Echange épistolaire sur notre raison d'être ici maintenant
Pas de problème pour
que vous publiez mon message et votre réponse puisque rien ne me dérange dans cette réponse…Jean-Pierre.
Le blog, une contre-culture émergente
Bonjour Sylvain
Votre blog est de fort belle facture, tant du point de vue
iconographique que du ton. Félicitations !
Je pratique peu les
blogs ; la toile sature et on trouve tout en bloc. Même le bon s'est tant
développé qu'il est impossible de suivre au jour le jour ce qui est
produit. Doit-on sélectionner ou uniquement zapper ? Difficile de dire
aujourd'hui ce qui restera demain de cette immense marée talentueuse.
J'ai assez longuement
diffusé par sites internet quelques images, quelques textes. Les contacts
profonds sont rares avec les internautes. Pourtant, curieusement, de 10 à 15
personnes chaque mois portent attention soutenue à l'un de mes sites pendant
environ une heure. En résulte-t-il pour moi une sorte d'autosatisfaction, de la
vanité ? Peut-être partiellement, mais plus encore cela amène à persévérer. Et
puis vient un jour ou l’autre une espèce de lassitude à composer renforcée par
la perception d'un malaise engendré par la dépendance : nous nous créons ainsi
des contraintes nouvelles, nous pensons exister davantage par ces nouveaux
moyens d'expression. Bref j'en viens à la réserve, au recul. J'espère qu'il
n'en sera pas ainsi pour vous car je crois que ce que vous proposez mérite
d'être.
Assez de verbiage. Bon week-end Sylvain !
Jean-Pierre
Boureux, Reims.
Le blog, une contre-culture piquante
Bonsoir Jean-Pierre!
Je vous remercie pour votre e-mail fort sympathique! Je suis pleinement
d'accord avec vous concernant la pléthore de blogs sur la toile! Il y a un tri
énorme à faire si on recherche vraiment des blogs qui aiguisent notre curiosité
et notre intérêt personnels. Mais faisons-nous tous le même tri? Et n'est-ce
pas là une chance unique de pouvoir s'offrir le luxe de choisir? J'y viens.
J'estime que ce média a l'intérêt fabuleux de proposer aux internautes un moyen
d'expression, d'échange et d'ouverture. Il permet de donner libre court à la
pensée créative de milliers, millions d'anonymes qui n'ont pas accès aux moyens
traditionnels d'expression. Beaucoup d'entre nous bloggeurs, n'auront sans
doute jamais accès à des salles d'exposition ou à la presse papier, ne
connaîtront jamais le plaisir d'un vernissage ou d'une publication et le
privilège de partager avec autant de visiteurs notre humble travail. Car les
blogs créent la plus grande salle d'exposition du monde, pas toujours du
meilleur goût, pas toujours remplie de finesse mais les blogs sont
majoritairement investis de bonne volonté. Chacun propose, les visiteurs
disposent: les goûts se croisent, se lient ou s'abandonnent. Nous parlons alors
de tri, mais quels sont les rares autres exemples où nous possédons ce
privilège puissant et personnel de trouver ce qui nous correspond intimement?
La diversité nous offre ici le privilège d'abolir les dictatures culturellement
formatées de la rentabilité et du politiquement correct.
Lutter contre la dictature de la culture restrictive passe par une phase de
retour sur l'objet culturel ou artistique. Après avoir franchi le cap
d'exposer à tous, sans restriction, sa passion et les fruits de celle-ci, on
s'expose aux commentaires libres des visiteurs de nos pages. La critique
est la clé de voûte de ce média, elle assure sa pertinence. La critique et le
droit à la critique assure la survie du modèle blog et protège contre
l'uniformisation du tout culturel. Un blog me plaît, je le précise à son
auteur, j'assure la survie de ses idées qui sont aussi les miennes et ensemble
nous perpétuons des idées, des concepts ou des éléments artistiques. Dès lors,
le blog peut-il exister sans ses hôtes?
Cette mode des blogs est peut-être éphémère, l'existence individuelle d'un blog
l'est encore plus car comme vous le dites, la lassitude gagne souvent l'auteur.
La contrainte de publier régulièrement peut être source d'appréhension, source
d'angoisse à l'image de l'écrivain fébrile face à la page blanche, mais vous
n'avez aucun impératif dans l'absolu. Vous pouvez rompre l'aventure à tout
instant et finalement apprécier ce plaisir qui fut le votre de partager et
d'échanger avec des anonymes certes, mais vous avez échangé et c'est bien là
l'essentiel. Oui, le bloggeur existe par son blog mais c'est une chance de
prendre la parole, on frôle l'acte citoyen, la tribune rhétorique où se
défendent les convictions, les passions et les pensées même les plus
simples. On fustigera l'accoutumance à la souris, l'addiction au clavier
et le repli sur soi du bloggeur invétéré mais sans doute faut-il se réjouir du
droit à l'expression de ce dernier, frustré d'être muet dans un monde digéré par
quelques privilégiés autosuffisants qui s'expriment mais ne se font entendre.
Peut-être le bloggeur ne sera t-il jamais lu, peu importe. On lui aura donné sa
chance sans jugement de valeur ni condescendance.
J'aimerai enfin conclure en précisant que les blogs offrent un éventail
culturel accessible au plus grand nombre car le blog, par son concept, se
préserve de l'élitisme. Nos élèves peuvent être frileux à l'idée de fréquenter
des musées, des expositions ou d'assurer leur propre information. Le blog est un
tremplin vers la découverte intimiste de ses propres goûts et
l'affirmation de ses convictions. Un préalable éducatif, portant sur l'esprit
critique, est sans doute nécessaire et l'école a, j'en suis convaincu, son rôle
à jouer pour tirer parti de ce nouveau média tant dans l'expression qu'il
autorise que dans la diversité qu'il offre. Le blog serait-il au final le talon
d'Achille de la culture jetable qui enfume nos élèves? Personnellement, je
l'espère.
Sylvain, Strasbourg
Merci, ô lecteur, de t'être accroché jusqu'au bout de ce texte d'une longueur inhabituelle!